La ficelle : Fiche de lecture
La ficelle : Fiche de lecture séquence 0 / travaux encadrés ( exposés )
La structure de la nouvelle peut être analysée suivant les deux schémas déjà évoqués : le schéma narratif et le schéma actanciel.
Le schéma narratif La ficelle ( Fiche de lecture)
* La situation initiale : de : « Sur toutes les routes autour de Goderville, les paysans et leurs femmes s’en venaient vers le bourg » à : «Tout cela sentait l’étable, le lait et le fumier, le foin et la sueur, dégageait cette saveur aigre, affreuse, humaine et bestiale, particulière aux gens des champs. »
Dans cette étape, la situation est stable ; il n’y a aucun problème, aucun événement perturbateur. Le lecteur découvre les lieux Goderville, le marché, le village), les personnages (Maître Hauchecorne, Maître Malandain, les paysans).
* L’événement perturbateur : de Maître Ilauchecorne, de Exemples, venait d’arriver ri Goderville. et il se dirigeait vers la place. quand il aperçut par terre un petit bout de ficelle. » à: «Enfin, le maire, fort perplexe. le renvoya, en le prévenant qu’il allait aviser le parquet et demander des ordre, »
En fait. l’événement perturbateur est sans conteste l’accusation de Maitre Hauchecorne par le maire et Maître Malandain. C’est l’événement qui introduit une modification dans la situation initiale et perturbe le cours normal de la vie protagoniste. Mais, la préparation de cette perturbation se fait en amont avec le ramassage de la ficelle, le voyeurisme de Maitre Malandain. l’évocation des ressentiments de chaque personnage pour l’autre.
* Les péripéties : de « La nouvelle s’était répandue. » à: «il en fut malade toute la nuit. » La propagation de la nouvelle de l’accusation de Maître Hauchecorne, les tentatives de ce dernier de convaincre ses accusateurs de son innocence, les plaisanteries et l’incrédulité des interlocuteurs… constituent la trame de l’action déclenchée par l’accusation. Il y a une mise en abyme c’est Maître Hauchecorne qui, en racontant son histoire, semble écrire la nouvelle « La Ficelle », concurrençant ainsi le narrateur. D’ailleurs le termes appartenant au champ lexical de la narration foisonnent.
Le faux événement équilibrant : de «Le lendemain, vers une heure de l’après-midi. Marius Paumelle, valet de ferme » à : «Il lui semblait sentir des propos derrière son dos derrière son dos. » En fait, il s’agit ici de ce qu’on peut appeler un «faux événement équilibrant ». En effet, il n’y aura pas dans cette nouvelle retour à une situation d’équilibre : l’innocence de Maître Hauchecorne ne sera jamais prouvée ; les gens ne croiront pas le pauvre paysan. Ce soi-disant événement équilibrant, qui aurait pu ramener à la situation initiale, donne lieu à un rebondissement. L’histoire repart au moment même où elle semble finir.
* Situation finale : de « Il désespérait à vue dkeiL » à: « t ‘nez, la voilà, m’sieu le maire.» L’histoire prend fin avec la mort de Maître Hauchecorne. Cette fin tragique, qui ne correspond pas à un retour à l’état d’équilibre initial, dénote le pessimisme de l’auteur. la cruauté de la société. Sur le plan esthétique, c’est une fin inattendue, imprévisible qui caractérise l’écriture de la nouvelle. C’est ce qu’on appelle une chute.
Le schéma actanciel : La ficelle ( Fiche de lecture)
Le schéma actanciel permet de mettre en évidence les différentes forces qui influencent le déroulement de l’action, et les rapports entre les personnages de l’histoire.
Actant-adjuvant Le valet qui a rapporté Le portefeuille.
Actant-objet Prouver son innocence et recouvrer son bonheur
Actant-sujet Maître Hauchecorne
Actant-opposant Maître Malandain / Les autres paysans qui refusent de le croire. se moquent de lui.
Les personnages principaux de la nouvelle
Maître Hauchecorne : Paysan normand économe. Il habite dans la localité Bréanté En arrivant à Goderville. le jour du marché, il ramasse une ficelle. Alors on l’accuse d’avoir ramassé le portefeuille perdu par Houlbrèque, un homme riche. Maître Malandain, avec qui il avait jadis des démêlés. affirme implacablement qu’il l’a vu ramassant le porte-monnaie. Bien qu’un valet rapporte plus tard le portefeuille, les gens refusent de croire qu’il est innocent. Blessé profondément dans son amour-propre, il meurt de chagrin.
Maître Malandain : Bourrelier de son état, Maître Malandain garde de la rancune pour Maître Hauchecorne. à cause d’un licol. Il soutient qu’il a vu ce dernier ramasser le portefeuille de maître Houlbrèque.
Le maire : Sur la dénonciation de Maître Malandain, le maire interroge Maître Hauchecorne. Mais, devant les dénégations de ce dernier, il décide d’en informer le parquet.
Le résumé de la nouvelle La ficelle ( Fiche de lecture)
Un paysan normand, Maître Hauchecorne allait au marché de Goderville. Chemin faisant, il ramassa un bout de ficelle, devant les regards de son ancien ennemi, Maître Malandain, bourrelier de son état.
Pendant que Maître Hauchecome déjeunait dans l’auberge de Jourdain, le crieur public annonça. en roulant son tambour, que maître Houlbrèque avait perdu son portefeuille. Un gendarme le pria de le suivre à la mairie.
Le maire l’accusa d’avoir ramassé le portefeuille perdu en prenant à témoin Maître Malandain. Ce dernier soutint sur un ton péremptoire que son ancien ennemi était coupable. Ce dernier, qui en fut indigné, nia en jurant.
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Alors, les gens se mirent à taquiner le pauvre paysan et à se moquer de lui. Ils refusaient d’admettre son innocence et le traitaient de malin.
Or. un valet rapporta le portefeuille qu’il avait trouvé. Maître Hauchecorne s’en réjouit et se met en devoir de raconter à tous les passants son innocence qui éclata au grand jour. Mais les gens refusaient de le croire : ils l’accusaient d’être de mèche avec le valet qui avait rapporté le porte-monnaie.
Obsédé par cette histoire et profondément blessé dans son amour-propre, le pauvre paysan mourut en répétant qu’il était innocent.
Questions réponses pour comprendre la nouvelle La ficelle ( Fiche de lecture)
1 Qui est l’auteur de cette nouvelle ?
– L’auteur de cette nouvelle est Maupassant. C’est un auteur français du XIXe siècle. Il a écrit plusieurs romans comme Pierre et Jean, Bel-Ami, et des nouvelles telles Contes du Jour el de la non, Boule de Suif; Contes de la bécasse.
2. À quel courant littéraire appartient Maupassant.
– Il appartient au courant réaliste.
3. À quel genre littéraire appartient ce texte ?
– C’est une nouvelle.
4. Qu ‘est-ce qu’une nouvelle ?
– Une nouvelle est un court récit qui se distingue du roman par le nombre restreint des personnages mis en scène, et par la concentration des événements en un élément surprenant révélé lors de la chute.
5. Qu’est-ce que le réalisme ?
– Le réalisme est un mouvement littéraire du milieu du XIXe siècle qui cherche à décrire le réel. en puisant ses sujets dans la vie ordinaire.
6. Quelles sont les caractéristiques du réalisme dans cette nouvelle ?
– L’évocation de lieux réels (Goderville, Exemples, Ymauville, Manneville) la description minutieuse des lieux et des persopnages (le marché, les paysans) la mise en scène de personnages ordinaires (paysans,iubergiste) ;- l’utilisation d’un registre de langue familier: utilisation de termes concrets (objets, animaux, lieux…) ; etc.
LA FICELLE texte integral
À Harry Alis.
Sur toutes les routes autour de Goderville, les paysans et leurs femmes s’en venaient vers le bourg ; car c’était jour de marché. Les mâles allaient, à pas tranquilles, tout le corps en avant à chaque mouvement de leurs longues jambes torses, déformées par les rudes travaux, par la pesée sur la charrue qui fait en même temps monter l’épaule gauche et dévier la taille, par le fauchage des blés qui fait écarter les genoux pour prendre un aplomb solide, par toutes les besognes lentes et pénibles de la campagne. Leur blouse bleue, empesée, brillante, comme vernie, ornée au col et aux poignets d’un petit dessin de fil blanc, gonflée autour de leur torse osseux, semblait un ballon prêt à s’envoler, d’où sortaient une tête, deux bras et deux pieds.
Les uns tiraient au bout d’une corde une vache, un veau. Et leurs femmes, derrière l’animal, lui fouettaient les reins d’une branche encore garnie de feuilles, pour hâter sa marche. Elles portaient au bras de larges paniers d’où sortaient des têtes de poulets par-ci, des têtes de canards par-là. Et elles marchaient d’un pas plus court et plus vif que leurs hommes, la taille sèche, droite et drapée dans un petit châle étriqué, épinglé sur leur poitrine plate, la tête enveloppée d’un linge blanc collé sur les cheveux et surmontée d’un bonnet.
Puis, un char à bancs passait, au trot saccadé d’un bidet, secouant étrangement deux hommes assis côte à côte et une femme dans le fond du véhicule, dont elle tenait le bord pour atténuer les durs cahots.
Sur la place de Goderville, c’était une foule, une cohue d’humains et de bêtes mélangés. Les cornes des bœufs, les hauts chapeaux à longs poils des paysans riches et les coiffes des paysannes émergeaient à la surface de l’assemblée. Et les voix criardes, aiguës, glapissantes, formaient une clameur continue et sauvage que dominait parfois un grand éclat poussé par la robuste poitrine d’un campagnard en gaieté, ou le long meuglement d’une vache attachée au mur d’une maison.
Tout cela sentait l’étable, le lait et le fumier, le foin et la sueur, dégageait cette saveur aigre, affreuse, humaine et bestiale, particulière aux gens des champs.
Maître Hauchecorne, de Bréauté, venait d’arriver à Goderville, et il se dirigeait vers la place, quand il aperçut par terre un petit bout de ficelle. Maître Hauchecorne, économe en vrai Normand, pensa que tout était bon à ramasser qui peut servir ; et il se baissa péniblement, car il souffrait de rhumatismes. Il prit, par terre, le morceau de corde mince, et il se disposait à le rouler avec soin, quand il remarqua, sur le seuil de sa porte, maître Malandain, le bourrelier, qui le regardait. Ils avaient eu des affaires ensemble au sujet d’un licol, autrefois, et ils étaient restés fâchés, étant rancuniers tous deux. Maître Hauchecorne fut pris d’une sorte de honte d’être vu ainsi, par son ennemi, cherchant dans la crotte un bout de ficelle. Il cacha brusquement sa trouvaille sous sa blouse, puis dans la poche de sa culotte ; puis il fit semblant de chercher encore par terre quelque chose qu’il ne trouvait point, et il s’en alla vers le marché, la tête en avant, courbé en deux par ses douleurs.
Il se perdit aussitôt dans la foule criarde et lente, agitée par les interminables marchandages. Les paysans tâtaient les vaches, s’en allaient, revenaient, perplexes, toujours dans la crainte d’être mis dedans, n’osant jamais se décider, épiant l’œil du vendeur, cherchant sans fin à découvrir la ruse de l’homme et le défaut de la bête.
Les femmes, ayant posé à leurs pieds leurs grands paniers, en avaient tiré leurs volailles qui gisaient par terre, liées par les pattes, l’œil effaré, la crête écarlate.
Elles écoutaient les propositions, maintenaient leurs prix, l’air sec, le visage impassible ; ou bien tout à coup, se décidant au rabais proposé, criaient au client qui s’éloignait lentement :
— C’est dit, maît’ Anthime. J’vous l’donne.
Puis, peu à peu, la place se dépeupla, et l’Angélus sonnant midi, ceux qui demeuraient trop loin se répandirent dans les auberges.
Chez Jourdain, la grande salle était pleine de mangeurs, comme la vaste cour était pleine de véhicules de toute race, charrettes, cabriolets, chars à bancs, tilburys, carrioles innommables, jaunes de crotte, déformées, rapiécées, levant au ciel, comme deux bras, leurs brancards, ou bien le nez par terre et le derrière en l’air.
Tout contre les dîneurs attablés, l’immense cheminée, pleine de flamme claire, jetait une chaleur vive dans le dos de la rangée de droite. Trois broches tournaient, chargées de poulets, de pigeons et de gigots ; et une délectable odeur de viande rôtie et de jus ruisselant sur la peau rissolée, s’envolait de l’âtre, allumait les gaietés, mouillait les bouches.
Toute l’aristocratie de la charrue mangeait là, chez maît’ Jourdain, aubergiste et maquignon, un malin qui avait des écus.
Les plats passaient, se vidaient comme les brocs de cidre jaune. Chacun racontait ses affaires, ses achats et ses ventes. On prenait des nouvelles des récoltes. Le temps était bon pour les verts, mais un peu mucre pour les blés.
Tout à coup, le tambour roula, dans la cour, devant la maison. Tout le monde aussitôt fut debout, sauf quelques indifférents, et on courut à la porte, aux fenêtres, la bouche encore pleine et la serviette à la main.
Après qu’il eut terminé son roulement, le crieur public lança d’une voix saccadée, scandant ses phrases à contretemps :
— Il est fait assavoir aux habitants de Goderville, et en général à toutes — les personnes présentes au marché, qu’il a été perdu ce matin, sur la route de Beuzeville, entre — neuf heures et dix heures, un portefeuille en cuir noir, contenant cinq cents francs et des papiers d’affaires. On est prié de le rapporter — à la mairie, incontinent, ou chez maître Fortuné Houlbrèque, de Manneville. Il y aura vingt francs de récompense.
Puis l’homme s’en alla. On entendit encore une fois au loin les battements sourds de l’instrument et la voix affaiblie du crieur.
Alors on se mit à parler de cet événement, en énumérant les chances qu’avait maître Houlbrèque de retrouver ou de ne pas retrouver son portefeuille.
Et le repas s’acheva.
On finissait le café, quand le brigadier de gendarmerie parut sur le seuil.
Il demanda :
— Maître Hauchecorne, de Bréauté, est-il ici ?
Maître Hauchecorne, assis à l’autre bout de la table, répondit :
— Me v’là.
Et le brigadier reprit :
— Maître Hauchecorne, voulez-vous avoir la complaisance de m’accompagner à la mairie ? M. le maire voudrait vous parler.
Le paysan, surpris, inquiet, avala d’un coup son petit verre, se leva et, plus courbé encore que le matin, car les premiers pas après chaque repos étaient particulièrement difficiles, il se mit en route en répétant :
— Me v’là, me v’là.
Et il suivit le brigadier.
Le maire l’attendait, assis dans un fauteuil. C’était le notaire de l’endroit, homme gros, grave, à phrases pompeuses.
— Maître Hauchecorne, dit-il, on vous a vu ce matin ramasser, sur la route de Beuzeville, le portefeuille perdu par maître Houlbrèque, de Manneville.
Le campagnard, interdit, regardait le maire, apeuré déjà par ce soupçon qui pesait sur lui, sans qu’il comprît pourquoi.
— Mé, mé, j’ai ramassé çu portafeuille ?
— Oui, vous-même.
— Parole d’honneur, je n’en ai seulement point eu connaissance.
— On vous a vu.
— On m’a vu, mé ? Qui ça qui m’a vu ?
— M. Malandain, le bourrelier.
Alors le vieux se rappela, comprit et, rougissant de colère :
— Ah ! i m’a vu, çu manant ! I m’a vu ramasser c’te ficelle-là, tenez, m’sieu le Maire.
Et, fouillant au fond de sa poche, il en retira le petit bout de corde.
Mais le maire, incrédule, remuait la tête.
— Vous ne me ferez pas accroire, maître Hauchecorne, que M. Malandain, qui est un homme digne de foi, a pris ce fil pour un portefeuille.
Le paysan, furieux, leva la main, cracha de côté pour attester son honneur, répétant :
— C’est pourtant la vérité du bon Dieu, la sainte vérité, m’sieu le Maire. Là, sur mon âme et mon salut, je l’répète.
Le maire reprit :
— Après avoir ramassé l’objet, vous avez même encore cherché longtemps dans la boue, si quelque pièce de monnaie ne s’en était pas échappée.
Le bonhomme suffoquait d’indignation et de peur.
— Si on peut dire !… si on peut dire !… des menteries comme ça pour dénaturer un honnête homme ! Si on peut dire !…
Il eut beau protester, on ne le crut pas.
Il fut confronté avec M. Malandain, qui répéta et soutint son affirmation. Ils s’injurièrent une heure durant. On fouilla, sur sa demande, maître Hauchecorne. On ne trouva rien sur lui.
Enfin, le maire, fort perplexe, le renvoya, en le prévenant qu’il allait aviser le parquet et demander des ordres.
La nouvelle s’était répandue. À sa sortie de la mairie, le vieux fut entouré, interrogé avec une curiosité sérieuse ou goguenarde, mais où n’entrait aucune indignation. Et il se mit à raconter l’histoire de la ficelle. On ne le crut pas. On riait.
Il allait, arrêté par tous, arrêtant ses connaissances, recommençant sans fin son récit et ses protestations, montrant ses poches retournées, pour prouver qu’il n’avait rien.
On lui disait :
— Vieux malin, va !
Et il se fâchait, s’exaspérant, enfiévré, désolé de n’être pas cru, ne sachant que faire, et contant toujours son histoire.
La nuit vint. Il fallait partir. Il se mit en route avec trois voisins à qui il montra la place où il avait ramassé le bout de corde ; et tout le long du chemin il parla de son aventure.
Le soir, il fit une tournée dans le village de Bréauté, afin de la dire à tout le monde. Il ne rencontra que des incrédules.
Il en fut malade toute la nuit.
Le lendemain, vers une heure de l’après-midi, Marius Paumelle, valet de ferme de maître Breton, cultivateur à Ymauville, rendait le portefeuille et son contenu à maître Houlbrèque, de Manneville.
Cet homme prétendait avoir, en effet, trouvé l’objet sur la route ; mais, ne sachant pas lire, il l’avait rapporté à la maison et donné à son patron.
La nouvelle se répandit aux environs. Maître Hauchecorne en fut informé. Il se mit aussitôt en tournée et commença à narrer son histoire complétée du dénouement. Il triomphait.
— C’qui m’faisait deuil, disait-il, c’est point tant la chose, comprenez-vous ; mais c’est la menterie. Y a rien qui vous nuit comme d’être en réprobation pour une menterie.
Tout le jour il parlait de son aventure, il la contait sur les routes aux gens qui passaient, au cabaret aux gens qui buvaient, à la sortie de l’église le dimanche suivant. Il arrêtait des inconnus pour la leur dire. Maintenant, il était tranquille, et pourtant quelque chose le gênait sans qu’il sût au juste ce que c’était. On avait l’air de plaisanter en l’écoutant. On ne paraissait pas convaincu. Il lui semblait sentir des propos derrière son dos.
Le mardi de l’autre semaine, il se rendit au marché de Goderville, uniquement poussé par le besoin de conter son cas.
Malandain, debout sur sa porte, se mit à rire en le voyant passer. Pourquoi ?
Il aborda un fermier de Criquetot, qui ne le laissa pas achever et, lui jetant une tape dans le creux de son ventre, lui cria par la figure : « Gros malin, va ! » Puis lui tourna les talons.
Maître Hauchecorne demeura interdit et de plus en plus inquiet. Pourquoi l’avait-on appelé « gros malin » ?
Quand il fut assis à table, dans l’auberge de Jourdain, il se remit à expliquer l’affaire.
Un maquignon de Montivilliers lui cria :
— Allons, allons, vieille pratique, je la connais, ta ficelle !
Hauchecorne balbutia :
— Puisqu’on l’a retrouvé, çu portafeuille !
Mais l’autre reprit :
— Tais-té, mon pé, y en a un qui trouve, et y en a un qui r’porte. Ni vu ni connu, je t’embrouille.
Le paysan resta suffoqué. Il comprenait enfin. On l’accusait d’avoir fait reporter le portefeuille par un compère, par un complice.
Il voulut protester. Toute la table se mit à rire.
Il ne put achever son dîner et s’en alla, au milieu des moqueries.
Il rentra chez lui, honteux et indigné, étranglé par la colère, par la confusion, d’autant plus atterré qu’il était capable, avec sa finauderie de Normand, de faire ce dont on l’accusait, et même de s’en vanter comme d’un bon tour. Son innocence lui apparaissait confusément comme impossible à prouver, sa malice étant connue. Et il se sentait frappé au cœur par l’injustice du soupçon.
Alors il recommença à conter l’aventure, en allongeant chaque jour son récit, ajoutant chaque fois des raisons nouvelles, des protestations plus énergiques, des serments plus solennels qu’il imaginait, qu’il préparait dans ses heures de solitude, l’esprit uniquement occupé de l’histoire de la ficelle. On le croyait d’autant moins que sa défense était plus compliquée et son argumentation plus subtile.
— Ça, c’est des raisons d’menteux, disait-on derrière son dos.
Il le sentait, se rongeait les sangs, s’épuisait en efforts inutiles.
Il dépérissait à vue d’œil.
Les plaisants maintenant lui faisaient conter « la Ficelle » pour s’amuser, comme on fait conter sa bataille au soldat qui a fait campagne. Son esprit, atteint à fond, s’affaiblissait.
Vers la fin de décembre, il s’alita.
Il mourut dans les premiers jours de janvier, et, dans le délire de l’agonie, il attestait son innocence, répétant :
— Une ’tite ficelle…une ’tite ficelle… t’nez, la voilà, m’sieu le maire.
25 novembre 1883
Résumé
« Sur toutes les routes autour de Goderville, les paysans et leurs femmes s’en venaient vers le bourg… »
Un jour de marché dans le bourg normand de Goderville, un paysan, maître Hauchecorne, ramasse un petit morceau de ficelle sous les yeux de maitre Malandain avec lequel il est en conflit. Plus tard, un crieur public fait savoir que quelqu’un a perdu un portefeuille. Hauchecorne est accusé d’avoir trouvé et conservé le portefeuille, il a été dénoncé par Malandain, convoqué chez le maire, on ne retient rien contre lui mais on n’a pas pu prouver son innocence. Tous les gens qu’il rencontre sont persuadés qu’il a conservé le portefeuille. Plus tard, un valet de ferme restitue le portefeuille qu’il a trouvé sur la route et Hauchecorne croit qu’il est enfin délivré. Mais plus il raconte son récit, plus les autres croient que c’est lui qui après avoir trouvé le portefeuille, l’a fait rapporter par un tiers. Hauchecorne devient obsédé, il tombe malade et il meurt. Ses derniers mots sont encore pour clamer son innocence, sa dernière phrase est « Une ’tite ficelle… une ’tite ficelle… t’nez, la voilà, m’sieu le maire ».